Vaincre l’indécision et trouver sa voie
Dans ma jeunesse, je n’ai jamais rêvé d’être enseignant. Ma mère oeuvrait dans ce domaine, et ne semblait pas tellement apprécier cette carrière. Ce n’était donc pas une voie qui m’attirait. En fait, aucune profession ne m’interpellait. Plus tard, bien que possédant un diplôme universitaire en littérature anglaise, j’ai passé la majeure partie de ma vingtaine à faire des petits boulots et à jouer de la musique dans des groupes. À l’époque, cela me paraissait être une façon parfaite de passer son temps.
Parallèlement, à 21 ans, j’ai été initié au bouddhisme de Nichiren Daishonin. Je me suis rapidement impliqué dans les activités du Groupe de la jeunesse et j’ai participé activement aux réunions de district. J’ai fait du bénévolat au Centre culturel de la SGI de Montréal, j’ai commencé à contribuer financièrement à l’organisation et j’ai lu autant que possible sur le bouddhisme. Avec le recul, je constate que toutes ces actions ont activé mon karma en profondeur mais, en apparence, rien n’avait changé. Ma vie professionnelle demeurait inexistante.
Devenu père à 27 ans, il m’a fallu passer aux choses sérieuses. J’ai alors trouvé un « emploi d’adulte » chez un importateur de meubles. Ce n’était pas particulièrement épanouissant, mais ce travail me permettait de payer les factures. Toutefois, cette source s’est tarie au bout de deux ans, et j’ai dû remettre ma situation en perspective. Âgé de 29 ans, j’avais un enfant et un autre en route, et ma capacité à subvenir aux besoins de ma famille était pour le moins incertaine. J’aurais pu chercher un autre poste similaire, mais ce secteur d’activité ne me convenait pas. Inutile de mentionner qu’il m’a alors fallu oublier la musique, domaine dans lequel j’aurais été loin de pouvoir gagner suffisamment d’argent.
L’autre option était de me lancer dans l’enseignement. Mais cela signifiait un retour à l’université, de sérieuses difficultés financières don’t souffrirait la famille et une remise en question de ma vision négative de cette profession. Dans l’impasse, je me suis demandé comment faire un choix éclairé, et j’ai beaucoup réfléchi. Je réalise aujourd’hui que je n’étais pas très doué pour prendre des décisions à ce moment-là, et que j’avais adopté l’attitude du « laisser-aller ». J’avais tendance à attendre que les choses se produisent, puis à réagir ensuite. C’est pourquoi, en tant que pratiquant bouddhique, j’avais réellement besoin de corriger cet aspect de mon caractère.
J’ai donc pris la ferme résolution de gagner. Comme l’a mentionné Nichiren Daishonin,
« Ce qu’on appelle la “Loi bouddhique” détermine la victoire ou la défaite. »[i]
Ayant demandé conseil à un responsable aîné, celui-ci m’a répondu : « Examine soigneusement et logiquement le pour et le contre, mais il n’y a aucun moyen de savoir avec certitude quel sera le “meilleur” choix. Décide simplement, et ensuite prie de tout ton coeur pour que le choix que tu as fait devienne le meilleur pour toi. » J’ai donc mis mes appréhensions de côté, et choisi de retourner aux études pour devenir enseignant. Il va sans dire que c’était un véritable défi d’aider ma conjointe à élever deux jeunes enfants, de la soutenir dans son travail et de rédiger des travaux universitaires à deux heures du matin, tout en m’inquiétant du manque de stabilité et des dettes accablantes qui s’accumulaient. Soudainement, je me suis retrouvé dans un combat quotidien contre ma propre négativité. Il était temps de mettre en pratique la directive que j’avais reçue, c’est-à-dire d’utiliser le pouvoir du Daimoku* pour faire en sorte que ma décision finisse par être le meilleur choix pour ma vie.
Je me suis lancé dans les activités bouddhiques, le soutien aux membres, la récitation de Nam-myoho-renge-kyo* et l’étude quotidienne. J’ai fondé mes actions sur celles du président de la SGI, Daisaku Ikeda, dont je cite ici un encouragement :
« Toutes vos luttes, toutes les larmes et toute la sueur que vous avez versées pour le bouddhisme et pour kosen-rufu* se manifesteront sous forme de bonne fortune. »[ii]
Ce ne fut pas facile, mais j’ai réussi le programme d’études en enseignement et sciences de l’éducation et je me suis attaqué au prochain défi, soit de trouver un emploi à une époque où les postes dans ce domaine étaient rares. Pendant les premières années, j’ai oeuvré dans cinq écoles différentes, toujours à titre de remplaçant. Il faut savoir que lorsque les adolescents savent que tu n’es pas permanent, ils passent en mode « affrontement ». De plus, le soutien administratif n’était pas particulièrement solide à cet effet. Je ne pouvais compter que sur moi-même, tout en ayant souvent l’impression de ne pas trop savoir ce que je faisais. Je me souviens d’une élève en particulier qui semblait m’en vouloir sans raison spécifique. Elle était experte dans l’art de me pousser à bout. Je vivais dans l’angoisse constante de voir sa classe apparaitre dans mon horaire quotidien et de perdre le contrôle du groupe. Sans parler du stress que je ressentais à l’idée de ne pouvoir transmettre quoi que ce soit de valable. Cependant, je me suis acharné, me creusant la tête jour et nuit pour inventer des plans de cours, voire trouver de nouvelles stratégies afin de remporter la victoire. J’ai également bénéficié du précieux soutien illimité de nombreux amis dans la foi mais surtout, les encouragements de M. Ikeda m’ont donné une vision d’ensemble positive et le courage de persévérer. Ainsi, je n’ai jamais pensé à abandonner la profession, ce que j’aurais pu faire dans la mesure où plus de 50 % des nouveaux professeurs baissent les bras au cours des cinq premières années d’enseignement.
En Inde, en 2018, Jeff entouré de deux petites filles du foyer soutenu par son école
Au terme de cette phase meublée d’anxiété et d’efforts, j’ai enfin la conviction d’avoir gagné. J’ai changé mon attitude à l’égard de ma profession tout en transformant mon indécision et en apprenant à faire de ma décision, le « meilleur » choix possible. J’ai réalisé que je pouvais faire une réelle différence en tant que professeur et que mon rôle était important pour la société. À la suite de quoi, j’ai décroché un super poste dans une excellente école à la culture progressiste. J’ai pu subvenir aux besoins de ma famille et nous avons réussi à nous libérer de nos dettes. J’ai également participé à la formation d’enseignants inuit dans le Nord québécois et emmené des étudiants en Independant dix jours afin de soutenir un foyer pour jeunes filles démunies. Aussi, pour couronner le tout, j’ai de nombreuses occasions de faire de la musique à l’école où je travaille présentement. Je peux désormais affirmer haut et fort que j’aime vraiment mon métier.
À Kuujjuarapik (village nordique du Nunavik, Nord-du-Québec) en 2015. Jeff et deux enseignantes de la nation inuit.
Maintenant, en tant que chef de département, je suis en mesure d’aider d’autres éducateurs à ressentir, je l’espère, une impression similaire, et à trouver l’endroit dans lequel ils pourront également créer des valeurs, notamment en ces temps de pandémie due à la Covid-19. Je suis bien conscient que toute la bonne fortune que j’ai obtenue est un résultat direct de mes efforts pour maintenir la pratique bouddhique au centre de ma vie et soutenir les autres du mieux que je peux. Je continuerai d’ailleurs à le faire.
Daisaku Ikeda a récemment déclaré :
« La prochaine décennie est une période d’une importance extrême où nous devons oeuvrer pour surmonter les défis auxquels notre planète fait face et pour établir une nouvelle culture pour l’humanité fondée sur le respect de la dignité de la vie et sur la révolution humaine. »[iii]
Dans cette optique, mon regard est tourné vers 2030, et je suis déterminé à continuer de diffuser ce bouddhisme le plus largement possible dans mon environnement, autant personnel que professionnel.
Publié en février 2022 ère nouvelle
[i] Les écrits de Nichiren, « Le héros du monde », p. 842.
[ii] ère nouvelle, mars 2021, p. 20.
[iii] ère nouvelle, mars 2021, p. 5.
* Consulter le glossaire en troisième de couverture.