Vaincre la « peste du XXe siècle »
Par Chuck Ander
Le pire moment de ma vie est survenu vers la fin du mois de décembre 1968. Ce qui s’annonçait comme une journée normale, voire formidable, ne s’est pas passée ainsi. Après tout, j’avais été accepté en Génie électrique à l’Université de Toronto. Je réussissais bien et j’étais en train de réaliser mon rêve d’enfance, soit devenir un scientifique.
Je ne me doutais pas qu’au lieu d’être un jour ordinaire, où je continuerais d’avancer vers mon but, ce serait la journée la plus terrifiante de ma vie. Ce serait aussi celle qui a changé mon existence à tout jamais. Je n’ai effectivement plus jamais été le même par la suite. La raison pour laquelle cette journée fut si horrible, c’est que j’ai commencé à perdre la tête. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Une sensation horrible m’a envahi vers l’heure du midi lorsque j’ai avalé une pilule que j’avais tout bonnement achetée à la pharmacie. Ce médicament devait m’aider à arrêter de fumer, mais il semblait plutôt m’affecter bizarrement. Je n’étais plus moi- même, mes pensées m’échappaient, je ne les contrôlais plus. Ce fut une expérience affreuse. J’espérais que le lendemain, les effets du cachet s’estomperaient et que tout reviendrait à la normale. Toutefois, le lendemain matin, c’était pire encore. J’ai appris plus tard que l’un des composants de cette médication était un stimulant. J’ai aussi découvert que des stimulants semblables pouvaient provoquer une réaction psychotique chez ceux qui y sont prédisposés… En fait, ce comprimé a déclenché une maladie que je portais déjà en moi et qui, pour ainsi dire, attendait de se manifester. J’ai su plus tard que cette condition se nomme schizophrénie ou, comme le philosophe Aldous Huxley l’a appelée, « la peste du XXe siècle ».1
J’ai poursuivi mes études aussi longtemps que j’ai pu, j’ai même passé mes examens de mi-session. Mais plus le temps passait, plus mon état s’aggravait et, peu après, il m’est devenu impossible d’assister à mes cours. Je ne pouvais plus me concentrer. D’une certaine façon, je m’en foutais. Ce qui m’arrivait me bouleversait et me terrorisait beaucoup plus que de laisser tomber ma scolarité. Je suis allé consulter mon médecin de famille et, comme il ne trouvait rien, mon père m’a amené voir un psychiatre. Je me suis retrouvé dans l’aile psychiatrique de l’hôpital Toronto Western. Je nourrissais encore l’espoir que les médecins détecteraient ce qui n’allait pas et me guériraient. Malheureusement, cinquante ans plus tard, il n’y a toujours pas de traitement efficace qui puisse contrôler la schizophrénie, et encore moins la guérir.
Lorsque mes parents ont appris le diagnostic, mon père a entrepris des recherches poussées afin de trouver un traitement alternatif puisque celui que je recevais, à base de tranquillisants et de thérapie par la parole, n’aidait en rien. Il a découvert la « thérapie par méga vitamines » qui apparemment avait aidé de nombreuses personnes souffrant de schizophrénie. Malheureusement, celle-ci n’a fait qu’empirer mes symptômes. En définitive, tout semblait aggraver mon état… J’ai consulté un médecin dans l’état de New York (aux États-Unis) qui m’a prescrit une combinaison de tranquillisants et de vitamines. Il a aussi essayé le traitement par électrochocs pour contrer ma dépression et diminuer les pensées horribles qui m’habitaient. Les électrochocs étaient terribles et angoissants, mais je me disais que si ça pouvait me faire ne serait-ce qu’un peu de bien, cela valait la peine d’essayer. Ce traitement m’a aidé, mais seulement pendant quelque temps, puis éventuellement je suis retombé dans le même état misérable.
Il est difficile de décrire mes sentiments et les symptômes engendrés par cette maladie. Aucun mot ne pourrait exprimer ce que je vivais. Je dirai simplement que chaque jour était rempli d’une telle souffrance et d’un tel état dépressif, que je me réfugiais dans le sommeil car lorsque je dormais, je ne souffrais pas. L’enfer ne pouvait pas être pire que ça.
En 1971, j’ai rendu visite à Bob, un ami d’enfance. Débordant d’enthousiasme et d’ardeur, il m’a dit : « Ne t’inquiète pas, Chuck, tout va bien aller. Tu n’as qu’à réciter Nam-myoho-renge-kyo* devant le Gohonzon* et tu iras mieux. » Sur le coup, je me suis dit que c’était plutôt lui qui était cinglé… mais je l’ai laissé m’expliquer sa théorie. Bob a été fantastique! Il s’est efforcé de m’enseigner à faire Gongyo*, c’est-à-dire la récitation d’extraits du Sûtra du Lotus. Il m’a ensuite traîné à des rencontres de discussion et a même tenté de me faire parler du bouddhisme à des gens que l’on croisait dans la rue (ce que faisaient les membres de la SGI à cette époque). Bob me répétait continuellement que si je posais toutes ces actions, je me remettrais totalement sur pied. Je lui répondais qu’il était impossible de guérir de cette maladie, mais rien ne le décourageait. Il me répétait sans cesse : « Si tu fais de ton mieux, tu seras en santé. »
J’ai alors vraiment fait « de mon mieux » pour adhérer au bouddhisme, non pas parce que j’y croyais, mais parce que je ne pouvais pas me permettre de ne pas essayer quelque chose qui me promettait un « mieux-être ». J’avais désespérément besoin de retrouver la santé, même si cela me semblait absurde. Cependant, il m’était très difficile de prier vu mon état. Je n’avais tout simplement pas l’énergie physique et mentale nécessaires. Finalement, Bob et moi avons convenu d’une entente. Si, pendant trois mois, je maintenais une pratique bouddhique complète, c’est-à-dire en récitant Gongyo matin et soir, ainsi qu’une heure de Daimoku par jour, si j’assistais aux réunions et abordais des gens dans la rue pour leur parler du bouddhisme de Nichiren Daishonin, je recouvrerais la santé. Si je n’obtenais pas ce résultat, je pouvais tout arrêter. Défiant toute logique, Bob insistait pour dire qu’après trois mois de pratique bouddhique, je me porterais bien. Je savais que c’était impossible, mais je l’ai fait quand même. J’ai donc respecté notre pacte, mais il va sans dire que cela me demanda énormément d’efforts. Malheureusement, à la fin des trois mois, je ne me sentais pas mieux et, n’ayant remarqué aucune amélioration notable, j’ai tout cessé. Mon expérience ne se termine cependant pas ici car, en bouddhisme comme dans la vie, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent.
Sans que je le sache, quelques jours après avoir pris la décision de tester la pratique bouddhique pendant trois mois, mes parents ont assisté à un congrès sur la schizophrénie. Plusieurs médecins donnèrent des présentations sur leurs approches et les résultats obtenus dans leurs efforts pour traiter cette maladie. Cela dit, on n’y annonçait rien de neuf. À la suite de ces présentations, mon père déambulait sur les lieux de la conférence quand par hasard il entendit un médecin dire à un autre : « Oui, je réussis à obtenir 100 % de résultat. » Mon père aborda immédiatement cet omnipraticien, le DrAllan Cott2, qui lui expliqua gentiment qu’il avait étudié en Russie un traitement de la schizophrénie par le jeûne, et qu’il l’appliquait désormais auprès de ses patients à New York, où il obtenait en effet un taux de réussite de 100 %. Mon père lui demanda alors si son fils pouvait suivre cette thérapie et Dr Cott répondit : « Amenez-le à New York et nous le traiterons. » Il y avait néanmoins encore plusieurs obstacles avant que je puisse bénéficier du traitement. Étant donné que je devais passer au moins un mois à l’hôpital à New York, les coûts seraient énormes à moins que les services de santé de l’Ontario (OHIP) en couvrent les frais. Pour que ceci se réalise, un autre professionnel de la santé devait écrire une note à l’effet que j’avais besoin de ce traitement et qu’aucune des thérapies offertes au Canada ne pouvait m’aider. Mon médecin de famille accepta de le faire même s’il ne reconnaissait aucune valeur à cette méthode. J’ai imploré l’aide du directeur des réclamations hors-province de l’OHIP (Ontario Health Insurance Plan), le suppliant d’accéder à ma demande, et il accepta finalement de payer 90 % de la facture. Le chemin vers la santé s’ouvrait devant moi.
Bref, pour aller au plus court, j’ai suivi ce traitement et, pour la première fois depuis longtemps, j’ai commencé à ressentir des bienfaits. C’était incroyable! Je rencontrais encore des difficultés, mais j’allais tellement mieux que j’ai renoué avec le bouddhisme. À noter que cette fois, quand je m’y mettais vraiment, j’arrivais à surmonter mes pensées douloureuses. Un jour, quelques semaines après mon retour de New York, je me sentais tellement bien après avoir fait mon Gongyo du matin que j’ai pris ma guitare et je suis sorti sur le pas de la porte pour chanter. Cela faisait des années que je ne m’étais senti ainsi. Puis, j’ai repensé à ce que mon ami Bob m’avait répété à maintes reprises : « Si tu fais de ton mieux pendant trois mois, tu finiras par te sentir bien. » J’avais bel et bien fait de mon mieux pendant trois mois et, même si je n’avais pas vu d’amélioration sur le champ, je me portais bien maintenant. Et là, j’ai compris qu’il avait tout à fait raison, et que tout s’était déroulé exactement comme il l’avait dit. Peut-être pas comme je m’y attendais, mais ça avait fonctionné! Le bouddhisme de Nichiren Daishonin est véritablement profond. Ce que les membres ne cessaient de répéter, qu’on pouvait vaincre n’importe quel obstacle, était vrai. J’ai saisi à ce moment-là qu’en effet, le Gohonzon est absolu, et j’ai alors pris la décision de pratiquer ce bouddhisme toute ma vie.
Ça n’a pas toujours été facile et j’ai fait une mauvaise rechute en 1997. J’avais l’impression que la maladie s’emparait à nouveau de moi et j’étais terrifié. Nam-myoho-renge-kyo ne semblait pas m’aider. J’ai néanmoins continué à prier et demandé des directives à plusieurs responsables. Après un certain temps, presque deux ans, j’ai recommencé à me sentir mieux. Maintenant, je vais bien.
Évidemment, j’ai mon lot de combats et de défis, mais parce que j’ai franchi cet immense obstacle de la maladie, j’ai une grande confiance dans ce bouddhisme, car c’est réellement efficace. En le pratiquant, on peut surmonter absolument n’importe quelle difficulté. Comme le mentionne Nichiren Daishonin dans l’un de ses écrits :
« Croyez dans ce mandala de tout votre cœur. Nam-myoho-renge-kyo est semblable au rugissement d’un lion. Quelle maladie pourrait donc constituer un obstacle? »3
En effet, quelle maladie? Dorénavant, grâce à la merveilleuse expérience que j’ai de la pratique bouddhique, je suis résolu à aider le plus de personnes possible qui sont affligées de problèmes semblables. J’ai toujours été proche de Bob, et maintenant de sa merveilleuse épouse, Esther. L’inlassable détermination de mon ami m’a aidé à me rapprocher encore davantage de lui. C’est donc avec beaucoup de fierté que je lui ai servi de témoin à son mariage.
Remarque: cet article publié dans le numéro de juin 2019 d’ère nouvelle était une chronique de l’expérience personnelle d’un pratiquant utilisant la foi et la pratique bouddhistes, ainsi qu’une forme de traitement médical. L'article ne devait pas être interprété comme un commentaire sur l'efficacité d'un traitement particulier. Les diagnostics de santé mentale et leurs traitements doivent toujours être entrepris avec les conseils de professionnels de la santé / de la santé mentale.
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1 Aldous Huxley (1894-1963), Les portes de la perception.
2 Le Dr Allan Cott a écrit un livre sur le jeûne : Fasting, the Ultimate Diet (Le jeûne, le régime suprême). Dans le chapitre qui traite des bienfaits pour les gens atteints de maladie mentale, Chuck Ander est l’un des cas rapportés.
3 Les Écrits de Nichiren, « Réponse à Kyo’o », p. 415.
* Consulter le glossaire en troisième de couverture.