Un cheminement bouddhique de cinquante ans
Cette année, Keith Robinson, qui vit à Calgary, célèbre le 50e anniversaire de son engagement dans la foi bouddhique. Son expérience est l’histoire d’un rendezvous mystique avec le plus grand philosophe de notre temps. Une rencontre improbable entre un jeune homme solitaire et un homme lumineux… dans la Ville lumière! Keith a commencé à pratiquer le bouddhisme de Nichiren Daishonin à l’âge de 13 ans, alors qu’il vivait à Los Angeles. C’est son frère aîné, Pete, qui lui a fait connaître le mouvement de la Soka Gakkai, lequel en était à ses tout premiers débuts en Amérique du Nord à ce moment-là.
Un soir, au milieu des années 60, Pete est arrivé à la maison avec de nouveaux amis, qui étaient plus joyeux et enthousiastes que nos visiteurs habituels. Les nouveaux amis de Pete ont enchâssé son Gohonzon et ont récité Nam-myoho-renge-kyo. Ils m’ont parlé du bouddhisme de Nichiren et de la philosophie de paix de Daisaku Ikeda. Pete m’a expliqué que l’établissement de la paix mondiale était réalisable grâce à la transformation de la vie des personnes.
J’étais intéressé par la paix parce que je ne la connaissais pas. Ma famille n’était pas heureuse. Mes parents se disputaient sans arrêt. Ma maison n’était pas endroit où régnaient l’amour et la confiance ni un lieu où l’on pouvait s’épanouir. Je rêvais de vivre dans un endroit où je pourrais être heureux.
À l’intérieur de moi, ce n’était pas non plus des plus paisible. Je souffrais constamment de la maladie de Crohn. Il s’agit d’une maladie auto-immune qui fait en sorte que le corps traite le système digestif comme un corps étranger. En conséquence, j’ai eu des douleurs extrêmes, des ulcères, des fistules, des abcès, des problèmes de malnutrition, de l’arthrite, de la gangrène, des obstructions intestinales et de la septicémie. On ne connaît pas la cause de cette maladie et il n’existe pas encore de remède.
J’ai commencé à pratiquer en 1968. À cette époque, les membres allaient au Japon pour approfondir leur foi et leur compréhension du bouddhisme. Ceux qui ont fait le voyage m’en ont appris davantage sur M. Ikeda, ses idées et le bouddhisme de Nichiren.
Aujourd’hui, on peut connaître les idées et les activités de M. Ikeda en consultant des publications ou des sites de la SGI. Cependant à cette époque, il y avait peu de matériel de disponible en anglais. C’est pourquoi je voulais le rencontrer. Mais j’étais trop jeune et trop malade pour aller au Japon. Le voyage coûtait aussi très cher et je n’avais pas d’argent.
Voici maintenant la partie tout à fait inattendue de mon histoire. J’avais entendu dire que Sensei Ikeda (comme les membres l’appelaient souvent) allait venir en Amérique. J’étais transporté de joie. Je pourrais finalement le rencontrer. Mon père (un professeur d’université) m’a alors annoncé qu’il prenait une année sabbatique. Mes parents allaient vivre en Israël et en Europe pendant un an et je devais les accompagner.
Tous mes espoirs se sont écroulés. Je pensais être le garçon le plus malheureux qui soit. M. Ikeda allait venir à Los Angeles et je devais quitter la ville pour accompagner mes parents querelleurs. Nombreux sont les jeunes qui auraient été heureux à l’idée de ne pas aller à l’école et de voyager partout dans le monde. Pas moi.
Keith avec son père et son frère, Pete
Un ami qui travaillait au centre bouddhique m’a dit que je devais m’en aller, car je ne pouvais pas vivre seul à Los Angeles. Il m’a suggéré d’aller en France en avril de l’année suivante et m’a remis l’adresse du centre bouddhique de Sceaux, situé près de Paris.
J’ai obtenu rapidement mon diplôme d’études secondaires et me suis envolé pour rencontrer mes parents en Israël. Nous avons voyagé dans toute l’Afrique du Nord et en Europe. Ils se sont disputés. Je me suis senti seul, j’ai été malade et j’ai eu peur.
En avril 1972, j’ai laissé mes parents à Genève et j’ai pris le train pour Paris. Je ne parlais pas français et ne connaissais personne. J’avais quelques dollars américains en poche ainsi que l’adresse que m’avait remise mon ami. C’était celle du siège social de la Soka Gakkai en France. Je m’y suis rendu et un membre du personnel m’y attendait. Il m’a demandé pourquoi j’étais là. Je lui ai dit que je venais des États-Unis pour rencontrer Sensei Ikeda.
Cet homme m’a dit que Sensei n’était pas là; je lui ai répondu que j’étais prêt à l’attendre.
J’ai trouvé une chambre minuscule où je pourrais demeurer à Paris. J’allais au centre de Sceaux presque chaque jour. J’avais très peu d’argent, et la chambre me prenait presque tout mon avoir. J’ai survécu avec une tranche de pain par jour.
J’avais faim et j’étais seul et malade. Quand je n’étais pas au Centre, je récitais daimoku ou je flânais seul dans les rues de Paris. J’ai vu beaucoup de belles choses. J’adorais les musées, les parcs, les monuments, les bibliothèques, les rues, tout. J’étais faible, mais j’étais habité par une passion. Quelque chose brûlait à l’intérieur de moi.
Puis j’ai rencontré un autre homme au centre. C’était un médecin et le responsable européen de l’organisation, le docteur Eiichi Yamazaki. Il m’a demandé pourquoi j’étais là. Je lui ai répondu que je désirais rencontrer Sensei Ikeda. Contrairement à l’homme qui m’avait précédemment posé la même question, le docteur m’a dit : « Fantastique! Aidez-nous à l’accueillir s’il vous plait. »
De façon maladroite et hésitante, j’ai tenté d’aider les membres français à préparer l’arrivée de Sensei. J’étais sans doute plus un fardeau qu’une aide pour eux.
Après avril, ç’a été mai et finalement Sensei et son épouse sont arrivées au centre. En haut, il y avait une grande salle de réunion. On m’a dit d’aller dans une petite pièce en bas, où le président Ikeda n’irait sans doute pas.
Après la grande réunion, Sensei et Mme Ikeda sont toutefois entrés dans la petite pièce où je récitais daimoku. Il est venu à moi et m’a donné la main. Il avait l’air si heureux. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un aussi heureux d’être là, dans le moment présent. Il se déplaçait avec son épouse avec grâce et beauté, comme s’ils exécutaient une danse magnifique.
C’est ainsi que j’ai pu rencontrer mon mentor. Je vais maintenant expliquer la raison de sa présence en France. Jusqu’à ce jour, Daisaku Ikeda a mené plus de 1 600 dialogues et a écrit des douzaines de livres en collaboration avec les plus grands penseurs de notre temps. Sensei et ces érudits et bâtisseurs de paix ont identifié les étapes nécessaires pour sortir des crises auxquelles l’humanité est confrontée. Ils ont établi une sorte de programme philosophique et pratique pour transformer la destinée de notre planète.
Le premier de ces dialogues a été avec le grand historien britannique Arnold Toynbee. Aujourd’hui la SGI multiplie les activités, les collaborations et les événements publics pour un monde de paix. Toutes les activités qui se tiennent aujourd’hui pour promouvoir la paix, la culture et l’éducation sont en fait le fruit de ce premier dialogue avec Toynbee. Leurs échanges ont été traduits en 28 langues. Le président Ikeda a rencontré pour la première fois Arnold Toynbee en mai 1972, à Londres. Avant d’aller à Londres, Sensei et Mme Ikeda sont venus à Paris pour une semaine.
À l’époque, j’ignorais tout cela. Tout ce que je savais, c’est que lui et moi étions ensemble dans cette incroyable Ville lumière. J’ai eu la chance d’avoir pendant toute une semaine des occasions de voir Daisaku Ikeda et sa femme. Nous avons fait gongyo ensemble tous les jours. Pendant une semaine, je me suis efforcé de toutes mes forces de l’aider le mieux que je pouvais. Son secrétaire m’a assigné diverses tâches. Les gens sont venus de partout en Europe et en Afrique pour le rencontrer. Lui et Mme Ikeda ont encouragé inlassablement les membres et les non-membres, les enfants et les personnalités de marque. Mme Ikeda a mis un simple kimono, très beau, et ils ont visité le Louvre. Un matin, après le gongyo, Sensei a patiemment montré à 200 personnes comment exécuter la cérémonie japonaise du thé. Pendant tout ce temps, il s’est tranquillement préparé pour sa rencontre avec Toynbee.
Durant cette semaine-là, j’ai fait un serment. J’ai décidé que peu importait ce que je ferais de ma vie, j’essaierais de l’aider et de le protéger lui et son œuvre. J’avais alors 17 ans.
Après cette expérience extraordinaire, je suis retourné à Los Angeles. Je pensais que ma vie prendrait un envol. Je croyais que les choses se passeraient ainsi: j’apporterais mon aide à notre mentor d’une façon spéciale.
Ce n’est pas ce qui est arrivé.
Mon état de santé s’est nettement détérioré. J’ai dû subir une intervention chirurgicale et l’on m’a enlevé une grande portion de mon intestin. Pas pour la dernière fois, je suis arrivé près de mourir. J’ai été hospitalisé pendant plus de six mois. J’ai perdu mon emploi et j’ai abandonné l’université. J’ai perdu ma petite amie et ma voiture. J’ai eu des ennuis et on m’a jeté en prison deux fois.
Je pensais que j’étais très malin; j’avais vu tant de choses et j’avais fait tant de choses. En réalité, je ne connaissais rien. J’étais tout mêlé.
Mes parents ont fini par divorcer. J’ai été à Calgary où j’ai rencontré la femme de ma vie.
Désormais, la vie suit son cours avec ses hauts et ses bas; elle comporte maints rebondissements, tours et détours. La maladie de Crohn est sans cesse revenue et les chirurgiens ont continué de couper. J’ai fait bien des bêtises et j’ai rencontré des gens merveilleux, fascinants. J’ai vu des choses très belles et j’ai été témoin de choses horribles.
Mais il n’y a pas eu une journée, que j’aie été déprimé ou heureux, pas une seule journée où j’ai oublié le serment que j’ai fait ce printemps-là à Paris. À ma façon, avec hésitation et maladresse, j’ai essayé de tenir parole.
Et très lentement ─ peut-être plus lentement que nécessaire ─ j’ai bâti en moi un havre de paix. Résolu a changé le destin de ma famille, j’en suis venu à aimer maman et papa et à apprécier tout ce que j’avais appris d’eux. Comme leur vie allait vers sa fin, j’ai essayé de les honorer et de les soutenir. Avec ma tendre épouse et partenaire dans la foi, Yoshiko, nous avons construit une famille harmonieuse qui œuvre à kosen-rufu et une maison où tous peuvent venir se revigorer, recevoir des encouragements et trouver l’espoir. Nous avons ainsi ouvert nos portes et notre cœur au monde entier et maintenant nous exploitons un gîte touristique. Des centaines de voyageurs de plus de 60 pays sont demeurés chez nous et y ont trouvé un lit propre, le réconfort, le bien-être et un chaleureux accueil.
Mais qu’en est-il de la maladie de Crohn dont je souffrais? J’ai subi 11 opérations majeures et j’ai dû lutter sans arrêt. Grâce à ma maladie, j’ai appris à éprouver de la compassion et à établir des liens avec les autres. En mai dernier, j’ai eu une endoscopie. Mes intestins étaient parfaits : souple, rose et heureux. Exactement comme moi : souple, rose et heureux. Autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de moi, j’ai trouvé une certaine paix.