De l’autodestruction à la création de valeurs
Jack et son épouse, Denise.
Originaire de l’Ontario, j’avais onze ans quand mes parents ont adhéré à un groupe religieux dont les principes étaient très stricts. Au cours des cinq années suivantes, tout en développant ma propre individualité, j’en suis arrivé à la conclusion que si je voulais jouir d’une certaine liberté de pensée, ce n’était pas chez moi que je pourrais y parvenir. J’avais beaucoup de difficulté à me plier aux règles. On me répétait sans cesse : « Tu ne peux pas faire ceci, tu ne peux pas faire cela. Tu ne peux pas, tu ne peux pas, tu ne peux pas ! Ne fais pas ci, ne fais pas ça ! Quand, à seize ans, j’ai fini par être mis à la porte de la maison familiale, j’ai commencé à fumer des cigarettes et, rapidement, de la marijuana. À cette époque, tout n’était que « Je peux, je peux, je peux ! Je fais, je fais, je fais ! » Ma vie est rapidement devenue hors de contrôle et ce, pendant très longtemps.
Pendant les vingt-deux années qui ont suivi, j’ai consommé beaucoup de drogues dures, allant de l’injection de méthamphétamine (meth) à la prise de LSD plusieurs jours d’affilée, en passant par la dépendance à l’OxyContin[i] et à la cocaïne. De manière surprenante, malgré tous ces excès, je suis resté dans la vie active et j’ai pu conserver mes emplois. La raison en était simple : sans argent, pas de drogue ! Par ailleurs, ma première union était très instable en raison des abus d’alcool durant les fins de semaine au cours desquelles ma conjointe et moi passions tout notre temps à nous quereller et à crier l’un après l’autre. C’était souvent comme vivre en pleine folie. En fait, la plus belle chose qui ait résulté de cette aventure a été notre fille, la magnifique Rachel, qui a aujourd’hui deux filles merveilleuses et un petit-fils de deux ans.
En 1974, pour échapper à mon mariage, j’ai décidé de quitter l’Ontario pour m’installer à Vancouver. À l’époque, je fumais trois paquets et demi de cigarettes par jour, sans compter toutes les autres substances nocives que j’introduisais dans mon corps. À ce rythme, j’étais persuadé que je serais mort à trente ans de toute façon. C’est alors qu’à l’âge de trente-et-un ans, j’ai découvert le bouddhisme de Nichiren Daishonin et senti que je venais de franchir une étape cruciale dans ma vie. Le 12 décembre 1982, c’est avec fierté que j’ai reçu mon Gohonzon. Dans sa lettre intitulée « Sur le prolongement de la durée de la vie », Nichiren Daishonin déclare :
« Il existe deux sortes de maladies, les bénignes et les graves. Un traitement précoce par un médecin de talent peut guérir les maladies graves et, à plus forte raison, les maladies bénignes. Le karma peut aussi être divisé en deux catégories : le karma fixe et le karma non fixe. Un repentir sincère peut éliminer même le karma fixe, à plus forte raison, le karma non fixe. »[ii]
On peut considérer le tabagisme et la toxicomanie comme relevant du karma fixe étant donné que j’ai lutté contre ces tendances pendant des décennies. Malgré tout, durant cette période, je conservais un esprit de recherche spirituel très fort. En effet, au fil des ans, j’ai fait l’apprentissage d’un grand nombre de croyances religieuses, tant occidentales qu’orientales. J’ai également étudié la psychologie et effectué de nombreuses lectures. Les diverses pratiques [spirituelles] que j’ai expérimentées promettaient toutes de m’aider à résoudre mes problèmes et de me rendre heureux, mais ce n’était malheureusement pas le cas. Nichiren Daishonin affirme d’ailleurs à ce sujet :
« [Le Sûtra du Lotus est] comme un grand médecin qui peut changer le poison en remède. »[iii]
Ainsi, j’ai eu la preuve de la transformation du poison en remède quand j’ai croisé la route d’un hypnotiseur qui organisait des séminaires sur l’arrêt du tabagisme avec une promesse de remboursement en cas d’échec. Un de mes amis et moi avions bien ri en imaginant ce que nous ferions avec l’argent garanti vu que, de toute évidence, nous ne pensions pas que cela fonctionnerait réellement. Curieusement, le jour suivant le traitement, je suis passé de trois paquets et demi de cigarettes par jour à zéro et ce, sans les symptômes habituels tels que le tremblement des mains, la sensibilité au toucher, les fringales, etc. C’est comme si on avait actionné un interrupteur dans mon cerveau. À partir de là, ma vie s’est mise à changer de cap. Cela se produisait au bon moment, car mes poumons étaient douloureux d’avoir tant fumé. Nous étions le 8 mars 1992, et j’étais très impressionné. Un mois plus tard, le 8 avril 1992, je prenais la décision d’arrêter aussi la consommation de marijuana. Après tout, j’avais déjà fumé pour l’équivalent de trois existences entières.
Je cite à nouveau Nichiren :
« Quand j’ai prié pour ma mère, non seulement elle guérit de sa maladie, mais sa vie fut prolongée de quatre ans. Vous êtes maintenant aussi tombée malade et, en tant que femme, c’est le moment pour vous d’établir une foi résolue dans le Sûtra du Lotus afin de voir ce qu’il en résultera. »[iv]
Ne pouvant résister au défi de « voir ce que cela pourrait m’apporter », je me suis impliqué à fond dans les activités de la SGI. J’ai soutenu des membres, qui se déplaçaient par un froid glacial pour participer aux réunions, en veillant à ce qu’ils n’aient pas d’accident et se sentent à l’aise, voire en sécurité. Un soir par mois, j’œuvrais en tant que membre bénévole au sein du groupe en charge des activités de la SGI dans nos centres. J’ai également étudié La révolution humaine[v] et les écrits de Nichiren Daishonin. J’ai participé aux sessions d’étude destinées aux responsables avant d’en devenir un moi-même. Tous mes samedis commençaient par une session de récitation de Nam-myoho-renge-kyo à 8 h 00 avec les membres du Groupe de la jeunesse, et je parlais du bouddhisme aux gens autour de moi de façon toute naturelle.
En 1990, mon frère aîné, Cecil, a succombé au sida. Même si je l’aimais de tout mon cœur, lorsque j’ai appris son diagnostic, j’étais inquiet à l’idée de prendre soin de lui, craignant que cela ne représente un fardeau. Toutefois, quand son état a empiré, je me suis mis à éprouver des sentiments fort différents, et j’ai ressenti de l’affection et une grande compassion envers lui. Au fond de moi, je me demandais : « Comment puis-je l’aider à ne pas souffrir autant ? Que faire pour atténuer sa souffrance, ne serait-ce qu’un peu ? » Le fait de voir un homme de trente-neuf ans, robuste, brillant et si intelligent en être réduit à l’état de peau et d’os, fut une expérience absolument terrifiante. J’ai réalisé que la vie est non seulement précieuse, mais aussi éphémère qu’une volute de fumée. Une fois de plus, grâce à la récitation de Daimoku, j’ai transformé le poison en remède, et c’est là que j’ai arrêté de prendre de la cocaïne, une addiction qui me coûtait 300 $ par semaine. Je ressens encore aujourd’hui une immense gratitude d’avoir pu transformer ma vie à ce point.
Après le décès de Cecil, j’ai entamé une thérapie assez intense sur le deuil. On nous a alors demandé de rédiger une brève autobiographie sur notre vie familiale pendant notre jeunesse. Cela n’a pas été difficile, mais j’ai réalisé que cet exercice ne serait valable qu’à la condition que je puisse révéler à mon père ce que j’avais vécu durant mon enfance à cause de ses strictes croyances religieuses. J’ai donc décidé de lui envoyer mon témoignage. Quelques jours plus tard, je recevais un appel de sa part m’annonçant qu’il ne me considérait plus comme son fils, et que je ne devais plus jamais le contacter. Je me suis alors confié à l’un de mes aînés dans la foi à Vancouver qui m’a encouragé à continuer de réciter Nam-myoho-renge-kyo pour que la situation se transforme. Toutefois, comme mon père habitait à près de 5 000 km de là, j’avais de sérieux doutes quant à la possibilité de résoudre quoi que ce soit simplement en invoquant le Daimoku. En définitive, la seule chose concrète que je pouvais faire consistait à tester la directive reçue.
J’ai prié pendant six mois jusqu’à ce que, à ma grande surprise, mon père me téléphone. C’est à ce moment précis que j’ai compris que la récitation de Nam-myoho-renge-kyo transcende le temps et la distance, et que le pouvoir de la pratique bouddhique est universel. Par la suite, j’ai développé un lien beaucoup plus sain et équilibré avec mon père. Lorsque j’ai quitté Vancouver pour revenir en Ontario, en 1996, j’ai pu constater à quel point nous avions désormais un profond respect l’un pour l’autre. En 2007, alors que mon père était mourant, Denise, ma seconde épouse, et moi tenions chacun l’une de ses mains dans les nôtres. Nous récitions à voix basse et j’observais sa respiration pendant qu’il inspirait puis expirait, encore et encore. Il avait l’air tellement serein que c’était vraiment incroyable d’être témoin de cela. J’ai la conviction d’avoir rencontré ce bouddhisme juste à temps. Je crois aussi qu’il a prolongé ma vie de quarante ans. J’ai fêté mes soixante-onze ans au mois d’août 2023, après plus de quarante ans de pratique bouddhique.
Le président de notre organisation bouddhiste, Daisaku Ikeda, a écrit :
« Kosen rufu est une grande entreprise, d’une échelle sans précédent, qui exige des efforts considérables et de la ténacité pour être en mesure de tracer une nouvelle voie là où personne ne s’est encore jamais aventuré. Pour y parvenir, chacun doit s’appuyer sur sa motivation personnelle dans la foi, et agir de sa propre initiative, au lieu de dépendre des autres pour déterminer ce qu’il doit accomplir. Il est possible de ressentir une immense joie dans les activités bouddhiques quand nous nous fixons des objectifs personnels et agissons avec assurance pour les atteindre. »[vi]
À l’avenir, ma détermination est de renforcer encore davantage ma foi et poursuivre mes objectifs professionnels qui sont de réussir en tant que chanteur et compositeur. J’ai l’intention de créer un site internet cette année pour générer des revenus avec ma musique, et je continuerai d’écrire des chansons en conservant l’esprit du mouvement Soka !
Poème de Jack en hommage à son frère, Cecil :
Le dernier instant [vii]
Il n’existe que dans les rêves,
et dans les souvenirs qui défilent.
Opaque, telle la brume diaphane,
qui s’évanouit dans le néant.
Les ficelles du vague,
ondulant…
en lambeaux.
Le regard du moment ultime,
pouvait-il être prolongé ?
Il aurait dû l’être.
J’aurais souhaité qu’il persiste,
qu’il dure deux fois plus longtemps.
Sans vraiment savoir, sauf après coup,
que ce serait là,
le tout dernier moment.
Publié en mai 2024 ère nouvelle
[i] Cet opiacé, qui est un puissant analgésique similaire à la morphine, agit directement sur le cerveau humain et peut entrainer de fortes dépendances physiques et psychiques à ce médicament.
[ii] « Sur le prolongement de la durée de la vie », Les écrits de Nichiren, p. 964.
[iii] « Le Daimoku du Sûtra du Lotus », Les écrits de Nichiren, p. 147.
[iv] « Sur le prolongement de la durée de la vie », Les écrits de Nichiren, p. 965.
[v] Ce roman écrit par feu Daisaku Ikeda (1928 – 2023), ancien président de la SGI, retrace le développement de la Soka Gakkai au Japon en six volumes.
[vi] La nouvelle révolution humaine, vol. 30, chap. 2, « Préparer l’ère à venir », p. 164.
[vii] Traduction provisoire.