Oser affronter la vie avec une foi pure et dynamique
Par Rita Greer
Le 1er septembre 2015, ma partenaire bien-aimée, Glenda, et moi nous trouvions dans le bureau de notre médecin qui nous a annoncé avec calme les résultats de la tomodensitométrie[i] de Glenda. Après ce rendez-vous, une fois assises dans notre voiture, nous avons compris qu’il nous faudrait lutter de toutes nos forces pour la vie de Glenda et, en même temps, pour nous préparer à l’éventualité de sa mort, car cela constituait l’essence du diagnostic médical. Nous sommes rentrées à la maison, avons récité Nam-myoho-renge-kyo, et avons dîné sur la véranda. Chaque feuille, chaque fleur, de même que chaque oiseau ou nuage se distinguait dans le ciel avec intensité. Nous avons à nouveau récité Daimoku. Plus tard, Glenda a insisté pour que nous allions souper à l’extérieur. C’était l’un de ses dons : il fallait célébrer les jours importants quoi qu’il arrive ! Nous sommes allées à notre bistro favori où nous avons dégusté un bon repas. Nous avons ri, conversé et passé un moment privilégié. Alors que nous nous apprêtions à quitter les lieux, notre serveur s’est exclamé qu’il trouvait difficile de nous voir partir. Je crois qu’il avait ressenti qu’il avait fait partie d’une situation cruciale, et compris que nous relevions ce défi à bras-le-corps, en défiant la peur et la douleur afin de vivre ce jour-là dans la joie.
Notre quotidien s’est ensuite retrouvé ponctué de multiples rendez-vous, de contrôles de la douleur, de médicaments, – d’encore plus de médicaments –, de séances de chimiothérapie – et d’encore plus de séances de chimiothérapie. Des équipes complètes composées de médecins et d’infirmières nous ont accompagnées. J’ai prié deux fois plus, et Glenda a récité autant de Nam-myoho-renge-kyo qu’elle a pu. Je me levais plus tôt pour effectuer ma pratique bouddhique et lire le recueil des Écrits de Nichiren ainsi que les directives du président de la SGI, Daisaku Ikeda. J’ai trouvé un immense réconfort, de nombreux encouragements et de la force morale dans chaque publication du New Century. Je me suis fondée plus particulièrement sur cet encouragement de M. Ikeda :
« C’est uniquement lorsque nous luttons contre l’adversité que le formidable pouvoir qui réside dans les profondeurs de notre vie commence à se manifester. Ceux et celles qui peuvent faire surgir une grande force dans les moments les plus éprouvants remportent la victoire. Nous pouvons trouver un sens à l’adversité à laquelle nous faisons face. Nous pouvons changer le karma en mission. »[ii]
Glenda et Rita, chez elles, à Toronto,
le 18 octobre 2014
Naturellement, nous avons passé des nuits blanches et des jours atroces. Certaines semaines, lorsqu’elle était éveillée, Glenda passait la plus grande partie du temps dans le grand fauteuil du salon, cachée sous la capuche de son coton ouaté, même lorsque des membres de notre famille ou des ami.e.s venaient nous visiter. Cela s’est produit à de nombreuses reprises, de façon très généreuse. Quelque temps après, j’ai trouvé une planchette à pince dans le porte-revues à côté du fauteuil où s’asseyait Glenda. Un article sur la gratitude rédigé par Linda Johnson, l’ancienne responsable du Groupe des femmes de la SGI aux États-Unis, s’y trouvait. Il y avait également une liste sur deux colonnes écrite d’une main tremblante par Glenda, où elle énumérait les choses pour lesquelles elle éprouvait de la gratitude en cette période où elle était condamnée par la maladie. Elle a toujours mis un point d’honneur à apprécier tous les cadeaux de la vie. Je crois que cet article l’a spécialement inspirée et aidée à trouver le courage de sortir la tête de sa capuche et de reprendre goût à la vie autant que possible.
Elle s’est remise à peindre, avec dextérité et de manière prolifique, réalisant une série de toiles qu’elle offrait à des ami.e.s aussitôt terminées. Elle participait aux tâches ménagères dans la mesure du possible, insistant notamment pour préparer le souper et ce, aussi longtemps qu’elle en a été capable. De nombreuses et merveilleuses choses se sont produites au cours des mois suivants. Une tendance s’est dessinée au fil des visites que nous recevions. Les rencontres étaient animées, et les rires fusaient. On soulignait souvent combien nous étions fortes et à quel point nous gérions bien la situation. Je savais toutefois que je n’étais pas aussi solide dès que je manquais de Daimoku. J’expliquais sans détour que nous nous en tirions bien parce que nous récitions abondamment Nam-myoho-renge-kyo. Les membres de notre district ont continué à se réunir chez nous, ce que nous avions initialement choisi de faire vingt ans plus tôt car, en plus de ses autres atouts, notre maison convenait bien aux réunions de discussion. En novembre de cette année-là, j’ai été profondément émue par des pratiquants bouddhiques canadiens à leur retour d’un voyage de formation au Japon. La profonde confiance et l’inspiration qui émanaient d’eux s’exprimaient dans ce simple slogan : « Le temps est venu pour le Canada. »
Je voulais participer pleinement à la réalisation de l’objectif de 10 000 membres au Canada en 2018, l’année célébrant le cinquième anniversaire de l’inauguration du Hall du Grand Vœu[iii] pour kosen rufu. Pour moi, c’était comme s’accorder parfaitement avec la vision de notre mentor, Daisaku Ikeda, en restant totalement et naturellement nous-mêmes, en encourageant nos camarades à connaître le bonheur, tout en créant ainsi une vague déferlante de respect envers la vie et en contribuant au bien-être de notre chère planète et de ses habitants. Réaffirmer ce grand vœu de voir la SGI du Canada se développer a profondément nourri ma vie. J’ai ainsi continué de rencontrer et d’encourager des membres de l’organisation et nos autres ami.e.s. Notre voisin immédiat, qui résidait juste à côté de notre chalet, a reçu le Gohonzon. Ma sœur, Sandra, qui vit à Edmonton, est venue passer Noël à la maison et a commencé à réciter Daimoku avec nous. La réunion générale des femmes, qui avait lieu au mois d’avril, a fait salle comble. De nouvelles personnes sont apparues, et à cette occasion, d’autres ont recommencé à réciter Nam-myoho-renge-kyo ou ont repris leur pratique bouddhique.
Rita (première rangée, à droite) avec des représentants
des responsables de la SGI du Canada lors d'un séminaire
d'entraînement de la SGI à Tokyo, au Japon, en novembre 2017
Grâce à l’aide de Sandra, qui est infirmière diplômée, nous avons pu rester ensemble à la maison et éviter que Glenda ne soit transférée dans une unité de soins palliatifs. Les membres de l’équipe spécialisée en services à domicile étaient vraiment attentionnés, compétents et disponibles. Les jours précédant la mort de ma conjointe, notre nièce nous a rejoints pour veiller sur Sandra et moi pendant que nous prenions soin de Glenda. Au cours de l’une de ces précieuses journées, Glenda a mimé une plaisanterie explicitement espiègle avec nous. Puis, l’une des dernières fois où elle a pu demeurer consciente, je me trouvais dans sa chambre. Elle s’est redressée en affichant un immense sourire rayonnant, et a exprimé à quel point elle était reconnaissante d’avoir pu accueillir ses ami.e.s et sa famille dans une maison remplie d’amour. Glenda s’est éteinte par un bel après-midi ensoleillé, un peu avant 15 h 00, le lundi 23 mai 2016. Les collègues peintres de son studio se sont immédiatement mobilisé.e.s et ont déployé d’immenses efforts pour monter une exposition exhaustive de ses œuvres picturales, et la rendre disponible durant les heures de visite au salon funéraire et lors du service commémoratif au Centre culturel de Toronto. En tout, plus de deux cents personnes sont venues, et la présence des œuvres de Glenda a transformé chaque événement en joyeuse célébration. Parmi les personnes présentes au service commémoratif au Centre culturel, beaucoup entendaient parler du bouddhisme de Nichiren Daishonin pour la première fois.
Je pense que ma première réaction après la disparition de Glenda s’est révélée être la plus courante. Il m’était si difficile de croire qu’elle était partie pour toujours. Souvent, je m’écriais dans ma tête : « Où es-tu Glenda ? Que fais-tu ? » Je souhaitais tellement le savoir. Sans oublier la question typique : « Ne peux-tu pas m’envoyer un signe ? Vraiment, ne peux-tu pas juste m’envoyer un signe ? » En vérité, je crois qu’elle l’a fait, et plus d’une fois, mais ça, c’est une autre histoire.
J’ai passé au peigne fin toutes les lettres que Nichiren Daishonin a adressées à ses disciples pour retrouver celles qui reflétaient des condoléances. Mes nouveaux « meilleurs amis » étaient les membres de la famille Ueno qui a vécu au Japon du temps de Nichiren, au XIIIe siècle. Cette famille avait perdu un père / un mari, un fils aîné et, par la suite, un fils cadet adoré. Nichiren lui avait écrit : « Votre défunt mari est sûrement dans la Terre pure du Pic de l’Aigle, et il écoute et regarde ce monde saha[iv] jour et nuit. Vous, son épouse, et vos enfants, n’avez que la perception des hommes du commun, et ne pouvez donc ni le voir ni l’entendre. »[v] Ce passage a eu l’effet d’une passerelle pour moi. Plusieurs nuits, je me suis endormie en me le répétant intérieurement et en m’efforçant de dépasser mes perceptions de simple mortelle. J’ai imaginé Glenda veillant sur nous, et moi lui adressant la parole dans ma tête.
Nichiren a également écrit à cette mère de famille, aussi appelée la nonne séculière Ueno : « Vous devriez en tout cas accomplir tous les bons actes possibles pour votre mari défunt. »[vi] Cet extrait, et le fait que Glenda s’était toujours employée à accomplir des actions bénéfiques pour les autres, m’a motivée à faire de mon mieux pour le bien d’autrui. Par une belle soirée, alors que je rentrais à la maison après avoir posé une minuscule bonne action, j’ai eu l’incroyable sensation que Glenda était présente dans chaque atome de l’environnement où je me trouvais. Par la suite et pendant longtemps, les ami.e.s proches de Glenda et moi-même avons souvent ressenti fortement sa présence. J’ai traversé les premiers mois suivant son décès un pas à la fois, et j’ai naturellement emprunté le chemin de la reconstruction de mon existence. Je n’ai eu d’autre choix que d’aller de l’avant et de prendre en charge les tâches que j’aurais normalement faites avec elle, aspects que je lui aurais d’ailleurs ordinairement laissé prendre en main. J’ai dû assumer le défi colossal de vider notre maison et son atelier, lesquels étaient remplis de souvenirs accumulés durant vingt ans de vie créatrice menée ensemble. Ensuite, j’ai dû affronter le marché de l’immobilier de Toronto, un milieu encore plus intimidant.
Avec l’aide d’un excellent agent immobilier, notre maison s’est bien vendue et j’ai pu trouver un magnifique condo dans le quartier. Situé au dernier étage d’une unité de coin, je peux jouer de la clarinette en toute liberté, sans déranger mes voisins, profiter de grands espaces, bénéficier de beaucoup de luminosité, et accueillir autant de membres dans le salon-salle à manger que nous le faisions auparavant dans notre maison. Bien sûr, comme plusieurs d’entre vous le savez déjà, le processus du deuil ne suit pas un gradient de progression continue. Le chagrin revient sous différentes formes, encore et encore. Malgré tout, je me renforce de plus en plus en devenant davantage indépendante et autonome. J’ai compris ce que voulait dire Nichiren Daishonin à l’une de ses disciples : « Vous rajeunirez et accumulerez des bienfaits. »[vii] L’idée « d’accumuler des bienfaits » m’avait toujours semblé aller de soi, mais « rajeunir » ? Comment était-ce possible ? Maintenant, je sais que, même lorsque notre corps vieillit, notre état de vie et notre énergie vitale peuvent, quant à eux, rajeunir.
Pourtant, une fois encore, je me suis sortie de plusieurs semaines douloureuses, remplies d’affliction. C’est arrivé durant les premières semaines de mon retour annuel à notre chalet. Quand Glenda et moi cherchions cet endroit, nous avions récité de vigoureux Daimoku afin de trouver une habitation où nous pourrions œuvrer à bâtir kosen rufu au sein de la collectivité rurale, comme nous le faisions dans notre quartier en ville. Je n’ai jamais oublié mon profond désir de voir cette communauté se transformer en un bastion pour la paix, et je continue d’agir pour atteindre cet objectif. J’ai alors réalisé que mon accablement, jumelé à un sentiment de perte et de solitude, était imprégné de tristesse à cause de mes prières non exaucées. Il m’a fallu admettre que j’avais sombré dans une attitude contreproductive et dénuée de gratitude.
Dans La nouvelle révolution humaine, qui relate l’histoire de la Soka Gakkai sous forme de roman, le président Ikeda s’adresse en ces termes aux membres d’une population vivant dans une région éloignée dans les montagnes japonaises :
« Pour vous, la première étape consiste à décider, au plus profond de vous-mêmes, de construire une grande forteresse pour kosen rufu à Matsushiro. Vous devez œuvrer à ce but avec la conviction absolue de ne jamais renoncer tant que vous n’aurez pas été au bout de vous-mêmes, ou que vous périrez en tentant d’y parvenir. Sans une détermination aussi ferme, vous ne pourrez pas espérer écrire une nouvelle page dans l’histoire de kosen rufu. »[viii]
J’ai placé cette citation sur mon autel bouddhique, en y ajoutant le nom de la communauté où était situé mon chalet. Mon objectif est clair et ma vie, revitalisée, est exaltante. Je me sens plus en harmonie que je ne l’ai jamais été. Je suis prête à me lancer le défi de faire jaillir la puissance du Gohonzon plus que jamais auparavant, et « avec la détermination et l’appréciation d’avoir un cœur pur. »[ix]
Publié en janvier 2024 ère nouvelle
[i] Technique médicale (faisant appel à des rayons X) fournissant des images très détaillées des veines et des artères du cœur.
[ii] ère nouvelle, février 2016, p. 16.
[iii] Le Hall du Grand Vœu, qui se trouve à Shinanomachi, à Tokyo, a été officiellement inauguré le 18 novembre 2013, soulignant la fondation de la Soka Gakkai en 1930 et le 69e anniversaire du décès du premier président de la Soka Gakkai, Tsunesaburo Makiguchi. Cet édifice sert de point focal au mouvement mondial de la Soka Gakkai en faveur de kosen rufu ou paix mondiale.
[iv] Le monde saha, ou monde de l’endurance, est le nôtre, soit celui dans lequel tous les êtres qui y vivent connaissent des difficultés et des souffrances du fait de leurs actes antérieurs, voire de leur karma.
[v] « L’enfer est la Terre de la lumière paisible », Les écrits de Nichiren, p. 457.
[vi] « L’enfer est la Terre de la lumière paisible », Les écrits de Nichiren, p. 460.
[vii] « L’unité entre mari et femme », Les écrits de Nichiren, p. 466.
[viii] Adaptation de La nouvelle révolution humaine, vol. 12, p. 108.
[ix] La nouvelle révolution humaine, vol. 12, p. 174.